Depuis près dun
demi-siècle, lEglise catholique faisait face
sur les terres du comte de Toulouse à une menace toujours
croissante. Pierre des Vaux de Cernay la résume ainsi
: « En la province de Narbonne, où jadis avait
fleuri la religion, lennemi de la foi se prit à
parsemer livraie. Le peuple tourna à la folie,
profanant les sacrements du Christ, qui est de Dieu la vraie
saveur et sagesse, se donnant au mensonge, déviant
de la véritable sapience, errant et divaguant derreurs
en erreurs jusquen labîme, marchant dans
les voies perdues, et non plus dans le droit chemin. »
Des chrétiens
pas comme les autres :
La foi des cathares
sinscrivait dans la lignée danciens cultes,
tels le manichéisme, le gnocistisme ou le bogomilisme.
Pour aller à lessentiel, leur dogme sappuyait
sur les écrits du Nouveau Testament. Ils étaient
en cela clairement chrétiens. Ils réfutaient
cependant la création du monde physique par le Dieu
bon et la pensaient uvre dun démiurge mauvais.
Ils croyaient à la réincarnation perpétuelle
des âmes, jusquà laccession à
une forme de béatitude permettant de rejoindre le principe
divin bon. Ils niaient la réalité physique du
Christ, qui nétait à leurs yeux quune
image envoyée par Dieu sur terre par pitié pour
les hommes. Ils condamnaient lopulence de lEglise
et le mode de vie dépravé de son clergé.
Ils observaient un régime alimentaire strict, sans
viande, laitages, ou oeufs, rythmé par des jeûnes
sévères. Ils prônaient labstinence
sexuelle et le mépris pour les biens matériels.
Ils refusaient leucharistie et les sacrements de lEglise,
auxquels ils avaient substitué un sacrement unique
: le consolament. Au cours dune cérémonie
sobre, on faisait pénétrer lEsprit Saint
chez le fidèle par imposition des mains et des Evangiles
sur le chef. Celui qui avait reçu ce consolament
passait du statut de simple croyant à celui de Bon
Chrétien, ou encore de Bons Homme ou de Bonne Femme.
Le catharisme avait sa hiérarchie ecclésiastique
au sommet de laquelle trônaient léquivalent
des évêques.
L'entrée en
guerre :
Les papes envoyèrent
sur les terres de lhérésie dinnombrables
missionnaires, tel saint Bernard de Clairveaux, qui tentèrent
de ramener les « âmes perdues » sur le chemin
de la « vraie foi ». Tout cela en vain, car lhérésie
continua sa progression. En lan 1208, le légat
Pierre de Castelnau fut assassiné par des sicaires
à la solde du comte de Toulouse. Lévénement
déclencha la colère dInnocent III qui
exposa en proie les terres situées entre Albi, Toulouse
et la frontière aragonaise. « Confisquez les
biens des comtes, des barons, des citoyens, écrivait-il
au roi de France Philippe Auguste, qui ne voudraient pas éliminer
lhérésie de leurs terres. Ne tardez pas
à rattacher le pays tout entier au domaine royal. »
Mais le Capétien oublia de répondre à
linjonction et se garda bien de se mêler de laffaire.
En revanche, nombre de chevaliers de son royaume rejoignirent
lexpédition naissante. Cadets de famille, membres
de la petite noblesse y trouvèrent la perspective inespérée
dun enrichissement facile.
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Une guerre de siège
:
Hormis la bataille
de Muret livrée en 1213, la croisade albigeoise se
résume à une succession interminable de sièges,
descarmouches, de prises de places fortes et datrocités
diverses. La ville de Béziers subit la première
les foudres des croisés. Il fallait marquer les esprits
: « Tout château résistant, toute ville
rétive seront pris par force et réduits en charniers.
Quon ny laisse pas même un nouveau-né
vivant. Ainsi sera semée une saine épouvante
et nul nosera plus braver la Croix de Dieu » (Chanson
de la croisade albigeoise). La population entière fut
passée au fil de lépée. On captura
par traîtrise le jeune vicomte Raymond-Roger Trencavel
sous les murs de Carcassonne
et ses habitants, effrayés par le précédent
Bittérois, préférèrent se rendre
sans combattre.
Châteaux de
montagne :
Alors débuta
une lutte féroce, menée au travers des massifs
montagneux enserrant lancienne voie romaine sétirant
de Toulouse à Narbonne. Elle ensanglanta le Minervois
et ses gorges profondes, taillées par les rivières
dans le plateau calcaire autour de Minerve.
Dans le massif de la Montagne Noire, les croisés buttèrent
sur la résistance héroïque de Lastours,
emmenée par le seigneur faidit Pierre Roger. Et puis,
il y avait les Corbières, ce massif splendide et immense,
sauvage et désolé, tellement chaud en été
et si froid en hiver, battu par les vents violents venant
de la Méditerranée. Là se trouvaient
dimprobables citadelles du vertige, comme Termes,
Quéribus, Puylaurens,
Peyrepertuse, Villerouge-Terménès,
ou encore Aguilar. Au
cours dun large raid lancé en 1214 dans lAgenais,
le Quercy et le Rouergue, Simon de Montfort et ses croisés
semparèrent de Najac,
Biron, Séverac-le-Château
Ils atteignirent
aussi le Quercob et conquirent Puivert,
le château où lon peut encore aujourdhui
fermer les yeux en entendant les complaintes lointaines des
troubadours. « Il est, en Languedoc, des châteaux
qui sont des cris. Puivert, lui, est un chant » (Colette
Gouvion). Tout se consuma enfin dans le bûcher de Montségur
en 1242 et la chute de Quéribus en 1255.
De nos jours, il
ne reste plus beaucoup de témoignages de ces temps
révolus. Toutes les places évoquées,
une fois conquises par les hommes du nord, furent profondément
modifiées et leur architecture est celle des vainqueurs.
Elle obéit majoritairement aux règles initiées
par les maîtres duvre
de Philippe Auguste autour de lan 1200. Mais ces
sites remarquables résonnent encore du bruit et de
la fureur de ces temps révolus, où hommes et
femmes du Languedoc revendiquèrent leur liberté
de croyance au prix de leur vie.
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