La tour de Broue
est plantée à la pointe d'une langue rocheuse
(appelée puy) s'enfonçant sur deux kilomètres
dans la plaine marécageuse de Brouage. L'altitude moyenne
de ce puy est d'une vingtaine de mètre au-dessus du
niveau de la mer. Il domine donc largement les alentours et
constitue par conséquent un point d'observation privilégié
sur des lieues à la ronde.
Le château
de Broue est directement mentionné pour la première
fois dans l'acte de fondation de l'abbaye Notre-Dame de Saintes,
par le comte d'Anjou Geoffroi Martel (1047). La présence
de ce potentat loin au sud de ses terres peut surprendre.
Mais si nous suivons le chroniqueur Adémar de Chabannes,
les dynastes angevins se seraient établis dans la région
vers 1015, avec l'approbation du duc d'Aquitaine Guillaume
le Grand (993-1030) : " Au comte d'Anjou Foulques (III
Nerra), qui avait été recommandé entre
ses mains, il concéda comme bénéfice
Loudun, avec quelques autres châteaux en Poitou, Saintes
aussi avec certains châteaux. "
Foulques III Nerra
(987-1040) construisit une quantité importante de forteresses
durant son long règne sur toutes ses terres et même
parfois sur celles des autres. Il fut également l'un
des grands précurseurs de l'usage de la pierre. La
mention d'Adémar " Saintes et certains châteaux
" incite à penser que Broue existait déjà
et faisait partie du lot, puisque le fils de Foulques, Geoffroi
Martel, l'avait en sa possession en 1047. Il est donc assez
tentant de voir au donjon de Broue l'uvre de Foulques
Nerra, même si cette hypothèse ne peut à
l'heure actuelle s'appuyer que sur un faisceau de présomptions.
Seule une analyse détaillée des vestiges subsistants
pourrait infirmer ou confirmer une telle théorie. Si
elle devait se vérifier, la tour de Broue figurerait
parmi les plus anciens donjons conservés en France.
A cette époque,
coulait au pied du puy rocheux un petit cours d'eau nommé
la Brouage. Il s'agissait en fait d'un bras de mer navigable
qui permettait à des barges ou à des navires
à faible tirant d'eau de parvenir jusqu'à la
base de la tour. Le petit port qui s'y trouvait servait à
acheminer le produit des salines, dont la châtellenie
de Broue tirait l'essentiel de ses ressources. La tour avait
donc une double fonction : servir d'amer aux marins et protéger
les salines. Il s'agissait là du Portus Santonum,
le port de Saintes,
mentionné au IIe siècle apr. J.-C. dans la Géographie
de Ptolémée.
Le duc d'Aquitaine
Guy-Geoffroi (1058-1086) parvint à reprendre Saintes
et la Saintonge à Foulques le Réchin, l'un des
héritiers de Geoffroi Martel. C'en était désormais
terminé de la présence angevine dans la région.
Broue fut confié à un certain Hugues de Doué
et ses descendants conservèrent la forteresse pendant
plusieurs générations.
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L'histoire du lieu
se résume, pour ce que nous en connaissons, à
l'exploitation des riches salines, avec les impératifs
et les contentieux susceptibles de naître du partage
d'une telle manne. Les sires du lieu connurent notamment quelques
démêlés avec les prieurs de Saint-Gemme,
détenteurs de biens non négligeables dans la
région. En 1244, un certain Geoffroi de Doué
fut condamné à payer une amende pour avoir négligé
les travaux d'entretien de son port.
Dans le dernier tiers
du XIIIe siècle, la seigneurie passa aux Rochefort.
Au XIVe siècle elle fut aux Baussay avant de tomber
dans le dernier quart de ce même siècle, dans
l'escarcelle de la famille de Pons. Mais déjà
sonnait l'heure du déclin. La mer se retira loin du
puy de Broue et l'envasement de la zone s'accéléra.
Les hommes suivirent les flots dans leur migration vers l'ouest
et fondèrent au XVIe siècle le port de Brouage.
Il ne reste plus
à Broue que les vestiges d'une chapelle romane et quelques
tronçons de l'enceinte protégeant le donjon.
Ce dernier couronne une motte semi-artificielle ovoïde.
Il dessinait autrefois un rectangle de 20 mètres sur
16 mètres. Seule sa façade occidentale est intégralement
conservée sur une hauteur d'environ 25 mètres.
Elle possède cinq contreforts plats et est presque
totalement aveugle. Deux petites fenêtres sont toutefois
percées au sommet. Le parement est appareillé
en pierre de taille (base et contreforts) et en petits moellons
irréguliers. D'innombrables trous sont les traces des
échafaudages utilisés lors de la construction.
Quelques détails
de l'agencement intérieur sont encore lisibles, telles
des latrines et une belle cheminée à colonnettes.
On trouve également sur le pan de mur subsistant au
sud les trous destinés à recevoir un plancher.
Il s'avère difficile de déterminer le nombre
de niveaux internes (peut-être quatre) et il est possible
de considérer que seul le dernier avait une vocation
résidentielle (cheminée).
Le site de Broue
est exceptionnel à plus d'un titre. Outre cette tour
squelettique semblant vouloir défier le temps, le paysage
qui s'ouvre au regard sur le marais de Brouage est à
couper le souffle. Une avifaune extrêmement riche peuple
par ailleurs le secteur.
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