Gisors et les Templiers
:
L' "affaire"
des Templiers à Gisors, exploitée par un auteur
à sensation et ses émules depuis quelques décennies,
déchaîne toujours les passions aux frontières
de la Normandie et de l'Ile-de-France. Il n'entre pas dans
notre rôle de conter cette fable, que chacun peut lire
sur les sites Internet appropriés ou en se procurant
certains ouvrages prodigues en trésors. Les Templiers
ne sont en fait mêlés que très épisodiquement
à l'histoire du château de Gisors et notamment
:
1/ La présence
des Templiers à Gisors, dans les années 1158-1160
ou 1161 :
Elle est notamment
consignée par Roger de Hoveden (ou Howden) dans sa
Chronique (Chronica Magistri Rogeri de Hovedene, éd.
William Stubbs, London, 1868, Vol 1, pp. 217 et 218). Roger
était un proche des Plantagenêts et a joué
un rôle important dans leur diplomatie. Si sa chronologie
s'avère parfois erronée, il se montre en général
bien informé et bénéficie souvent de
documents de premier ordre. Voici ce qu'il affirme [en résumé]
pour la " Septième année du règne
du roi Henri " (1161) :
Il existe entre le
roi Louis VII et Henri un contentieux à propos de la
possession des forteresses de Gisors et de Neaufles-Saint-Martin.
Pour régler ce problème pacifiquement, les deux
souverains négocient un accord. Louis s'engage à
remettre sa fille, Marguerite, à Henri II [ndlr : dans
le cadre d'un projet de mariage avec le fils aîné
de ce dernier, Henri le Jeune]. " Et traderet praedicta
castella de Gisortio et de Neafle in manu Templariorum custotienda,
donec praedicta filiae desponsarentur praefatis filiis regis
Henricis " (Et il [Louis] remettra les susnommés
châteaux de Gisors et de Neaufles dans la main des Templiers
pour leur garde, jusqu'à ce que la fille susdite soit
mariée au précité fils du roi Henri).
Lorsque Robert de Pirou et Tostes de Saint-Omer, les deux
Templiers, constateront la consécration du mariage,
ils remettront les châteaux au roi Henri. Les deux enfants
étant extrêmement jeunes, Louis VII pensait que
les places ne reviendraient pas au Plantagenêt avant
une dizaine d'années. Tout cela est confirmé
par serment. Louis remet sa fille à Henri [ndlr : un
peu naïvement] et les châteaux à la garde
des Templiers. Contre toute attente, le rusé roi d'Angleterre
marie les deux enfants très peu de temps après.
Il fait aussitôt constater à Robert de Pirou,
Tostes de Saint-Omer et à un certain Richard de Hastings,
que les clauses du contrat sont remplies et leur fait rendre
les forteresses. Le roi de France comprend qu'il a été
dupé et entre dans une rage folle. Pour échapper
à sa vindicte, les trois Templiers s'enfuient en Angleterre
où Henri les comble de largesse.
2/ Jacques de Molay
à Gisors :
Sa présence
est mentionnée dans la Chronique Rimée de Geoffroi
de Paris, qui couvre la période 1300-1316. Elle est
consignée dans le Ms. BN, fr. 146 conservé à
la Bibliothèque Nationale. Souvent erronée sur
le plan chronologique jusqu'en 1313, elle devient précise
après cette date. On pense donc généralement
qu'elle fut rédigée entre 1313 et 1317, les
souvenirs plus anciens étant difficiles à dater
de mémoire. Le texte évoque l'affaire des Templiers
et stipule :
" Le grand-mestre
a esté mandé,
Qui tenoit prison à Gisors
En cel temps ; lors en fu mis hors :
Si fu a Paris amenez. "
(On a convoqué
le grand maître, qui était en prison à
Gisors en ce temps. Il en fut alors mis hors et il fut amené
à Paris - Chronique métrique de Godefroy de
Paris, éd. J.-A. Buchon, Paris 1827, v. 6034 à
6037, p. 217. Voir également le même texte, édité
par MM. De Wailly et Delisle, dans la série Recueil
des historiens des Gaules et de la France, Tome XXII. p. 144,
v. 5660 et suiv.).
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Le lieu à
Gisors n'est certes pas précisé, mais depuis
le XIIIe siècle, les grosses tours philippiennes servent
régulièrement de lieu de prison pour des détenus
embarrassants. On peut par exemple citer Ferrand de Portugal,
comte de Flandre, enfermé selon Guillaume le Breton
en la grosse tour de Péronne après la bataille
de Bouvines (1214). Quoi qu'il en soit, un personnage de l'importance
de Jacques de Molay ne put être enfermé que dans
un lieu extrêmement sécurisé, c'est-à-dire
au château.
Le trésor
de Gisors ?
L'exceptionnel château
de Gisors, l'un des plus beaux de France, a beaucoup souffert
de l'affaire de ses hypothétiques richesses cachées.
La conjonction magique des mots " trésors "
et " Templiers " a attiré vers la vallée
de l'Epte des ribambelles d'amateurs peu éclairés,
malheureusement dénués de tout scrupule. Armée
de pelles et de pioches, cette nuée béotienne
a vainement foré la motte en tous sens, la transformant
en un gruyère instable. L'intégrité d'un
monument pluriséculaire s'est donc trouvée gravement
menacée par l'inconscience de quelques-uns. Les habitants
et la ville de Gisors ont gardé un très mauvais
souvenir de cette période des " chasseurs de trésor
" et veulent désormais se protéger contre
de nouveaux excès. La cité du Vexin n'est cependant
pas un cas isolé. Les villageois de Rennes-le-Château,
commune perchée dans les Corbières, ont connu
la même mésaventure avec la saga de leur curé
sans le sou subitement enrichi, explorant nuitamment le cimetière
et l'église de la commune. Un panneau accueille bien
le visiteur à l'entrée du village en rappelant
que les fouilles sont interdites sur le territoire de Rennes,
mais on a là-bas choisi de valoriser cette histoire
et de la transformer en argument commercial de premier ordre.
Pari gagné, puisque chaque année des milliers
de visiteurs empruntent l'étroite route en lacets montant
vers la villa Béthania (transformée en musée)
et à la tombe de Bérenger Saunière. Les
touristes constituent aujourd'hui le vrai trésor de
Rennes-le-Château. Assumer le passé pour mieux
préparer l'avenir est peut-être une option à
considérer.

Pour notre part,
nous ne voyons aucun trésor au château de Gisors,
aucun chariot bâché, aucune chapelle souterraine,
ni aucun coffre
et surtout pas de Templiers le vendredi
13 octobre 1307, jour de la rafle mémorable de tous
les chevaliers à la croix écarlate dans le royaume
de France. En revanche, les trois Templiers de la " septième
année du règne du roi Henri " et la plume
de Mestre Geoffroi de Paris sont bien réels. Là
s'arrête l'Histoire. Après commence la légende.
Cela n'interdit bien évidemment pas de rêver,
sous réserve de respecter l'intégrité
des lieux
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