1/ Des heures de
gloire à la décadence :
C'est vers 1130 que
le propre frère de celui qui deviendra post-mortem
saint Bernard (m. en 1153), Robert de Clairvaux, entreprit
de créer avec douze autres moines un nouveau monastère
à quelques lieues au sud de Bourges. L'établissement
porta d'abord le nom de Maison-Dieu-sur-Cher et le conserva
jusqu'à la fin du XIIIe siècle. La communauté
vécut d'emblée dans des conditions relativement
précaires, se plaignant même régulièrement
de ne pas manger à sa faim. Le salut vint d'un puissant
seigneur local, Ebbes V de Charenton, qui offrit à
l'abbaye naissante les terres indispensables à sa subsistance,
en 1150.
Les moines se mirent
vite au travail et transformèrent leur domaine en une
prospère entité au centre d'un important patrimoine
foncier. La terre constituait au Moyen Age la principale source
de richesse. Les frères purent donc entreprendre la
construction de leur église et des bâtiments
conventuels. Noirlac, abbaye cistercienne, affiche son architecture
simple et dépouillée propre à l'esprit
de l'ordre dont elle émane.
La congrégation
atteignit son apogée au milieu du XIIIe siècle
et entama peu après son déclin. Elle fut durement
touchée par la baisse chronique des donations et la
chute (déjà !) des vocations. Aprement éprouvée
durant la Guerre de Cent Ans, le coup de grâce lui fut
assené en 1510 lorsque le pouvoir souverain (le roi
Louis XII) décida de la soumettre au régime
de la Commende. L'abbé ne serait plus désormais
élu par les moines, conformément à la
règle, mais nommé selon la volonté royale.
La monarchie s'offrait ainsi la possibilité d'octroyer
prébendes et privilèges à des courtisans
généralement peu soucieux de l'éthique
et surtout désireux d'extraire des domaines reçus
un maximum de richesses. A la veille de la Révolution,
six moines hantaient encore les murs de Noirlac.
Tous les ordres à
vux solennels (Clunisiens, Cisterciens, Franciscains
)
se retrouvèrent dissous par la loi du 14 février
1790. Les derniers moines quittèrent les lieux durant
l'été de cette même année. L'abbaye
fut ensuite vendue comme bien national et acquise par un notable
parisien qui l'utilisa comme résidence secondaire.
Les propriétaires la cédèrent en 1820
à un manufacturier de porcelaine.
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2/ Noirlac et Mérimée
:
C'est en cet état
que Prosper Mérimée, grand pionnier de la préservation
du patrimoine, découvrit le site en 1838. Voici la
description que donne de Noirlac ce directeur général
des Monuments Historiques, dans ses " Notes d'un voyage
en Auvergne " publiées la même année
et adressées au ministre de l'intérieur de son
temps :
"Une manufacture
de porcelaine occupe les bâtiments d'une abbaye de l'ordre
de Citeaux, voisine de Saint-Amand, à laquelle un étang
voisin (depuis longtemps desséché) avait fait
donner le nom de Noirlac (Nigerlacus). Sa fondation remonte
à l'année 1136 ou 1150. En 1189, elle reçut
des donations considérables, qui vraisemblablement
lui permirent de s'accroître et de commencer les bâtiments
qui subsistent encore aujourd'hui. L'église, très
vaste et encore assez bien conservée, a tous les caractères
de l'époque de transition. Les arcades en ogive émoussée,
s'appuient à de forts piliers flanqués de colonnes
tronquées en console dans la grande nef. Dépourvus
d'ornements pour la plupart, les chapiteaux montrent la simplicité
un peu mesquine de la première époque gothique.
Sur la façade subsistent quelques restes d'une décoration
byzantine : mais cette partie de l'édifice a plus souffert
que le reste, et d'ailleurs ne peut donner lieu à aucune
observation. Des cuisines et un grand réfectoire, voûtés
l'un et l'autre et divisés par des piliers isolés
qui reçoivent les retombées, sont avec l'église
les parties les plus anciennes de l'abbaye, en apparence terminées
dans le cours du XIIIe siècle. Le cloître, presque
intact, est plus moderne. Commencé dans le XIVe siècle,
sa construction se prolongea sans doute jusqu'au milieu du
siècle suivant. Les détails en sont gracieux
et simples, et ses arcades se font remarquer par leur légèreté
et la forme élégante de leurs ogives. Viennent
ensuite beaucoup de constructions accessoires ; quelques-unes
modernes, et qui paraissent avoir servi de logement aux religieux.
Quelle qu'en soit la date, aucune ne mérite par son
architecture que l'on s'y arrête. Il est à regretter
qu'une église aussi vaste, et à certains égards
aussi remarquable que celle de Noirlac, ait reçu une
destination qui la dénature si complètement.
Des planchers et des murs de refend cachent toutes les dispositions
primitives ; la nef est devenue un magasin, et il n'est pas
une salle ancienne ou moderne, à laquelle les besoins
de la manufacture n'aient apporté de grands et tristes
changements."
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