La communauté
monastique de Jumièges fut créée en 654
par saint Philibert, inlassable évangélisateur
et fondateur de nombreuses abbayes en Gaule du nord (Noirmoutier,
Montivilliers, Pavilly
). La nouvelle entité prospéra
rapidement et devint en peu de temps l'un des plus importants
monastères du Royaume des Francs. La règle bénédictine
s'y imposa au VIIIe siècle. C'est là que Charlemagne
enferma le duc rebelle Tassilon de Bavière.
Elle subit de plein
fouet le premier raid viking perpétré dans la
vallée de la Seine, au mois de mai 841. La Chronique
de Fontenelle, abbaye voisine aujourd'hui connue sous le nom
de Saint-Wandrille, précise que Jumièges fut
incendiée. Elle eut désormais à subir
le pillage à chaque nouvelle incursion scandinave dans
la région et les moines préférèrent
quitter un endroit aussi exposé dès le milieu
du IXe siècle.
C'est au duc de Normandie
Guillaume Longue-Epée (v. 927-942), descendant direct
de ceux qui avaient autrefois dévasté la région,
que l'on doit la réimplantation d'une poignée
de religieux à Jumièges vers 940. L'abbaye restaurée
surpassa bientôt son lustre d'antan et sa renommée
s'étendit à toute l'Europe Occidentale. Son
scriptorium produisait notamment quantité de manuscrits
de grande qualité. On commença la construction
d'une nouvelle abbatiale vers 1035 et sa dédicace eut
lieu le 1er juillet 1067, en présence de l'archevêque
de Rouen Maurille et du duc de Normandie Guillaume le Conquérant
(1035-1087), roi d'Angleterre depuis son sacre à Westminster
le 25 décembre de l'année précédente.
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L'abbaye bénéficia
de la faveur ducale et reçut notamment une quantité
appréciable de biens en Angleterre. Un chur gothique
vint compléter la magnifique abbatiale romane au XIIIe
siècle. Elle subit à maintes reprises les outrages
du pillage durant la Guerre de Cent Ans, en 1415 notamment.
Charles VII (1422-1461), après avoir reconquis la Normandie
(1450), combla la congrégation de ses largesses. Le
fait que sa célèbre favorite, Agnès Sorel,
décéda en 1450 au Mesnil-sous-Jumièges
(à 3 km de Jumièges dans le manoir qui porte
aujourd'hui son nom) et que son cur fut transporté
en l'abbaye, n'est sans doute pas étranger à
cette générosité de l'amant éperdu.
Le corps de la dame de Beauté repose aujourd'hui à
Loches.
Jumièges,
comme nombre d'autres établissements monastiques, entra
en décadence dès le XVIe siècle. A la
veille de la Révolution, il n'y restait plus guère
qu'une poignée de moines qui furent rapidement expulsés.
Vendue comme bien national en 1797, l'abbaye tomba entre les
mains d'un marchand de bois peu sensible à la beauté
des lieux : Jean-Baptiste Lefort. Cet " esthète
" sans scrupule mina la tour lanterne et le chur,
dépeça le cloître, la salle capitulaire
et les bâtiments conventuels. Les jardins représentés
sur plusieurs gravures du XVIIIe siècle furent laissés
en friche. Lefort n'abandonna que les squelettes des églises
Notre-Dame et Saint-Pierre, ainsi que le logis de l'abbé
(XVIIIe siècle).
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